J’ai rencontré Raul Pérez pour la première fois à Montréal lors d’une présentation de ses vins à la Société des Alcools du Québec. Ce fut tout de suite le coup de foudre pour ce sympathique et authentique vigneron barbu tout autant que pour ses vins uniques. Fasciné par le personnage, j’ai décidé à l’occasion d’un passage en Espagne de lui rendre visite dans son fief de Valtuille de Abajo en Castille.

Raul Pérez est depuis quelques années un des œnologues les plus en vue de la péninsule ibérique. Les amateurs s’arrachent ses cuvées. Certains de ses vins sont aussi rares que recherchés et ne proviennent parfois que d’une seule et même barrique. Avec Ricardo Pérez Palacios, il est l’un des principaux artisans de la révolution viticole du Bierzo dans les années 90, région aujourd’hui acclamée par la critique pour la qualité de ses vins. Il a en effet contribué à redonner au cépage mencía ses lettres de noblesses, mais aussi à remettre au goût du jour certains cépages du nord-ouest de l’Espagne comme le caiño ou le bastardo. Raul Pérez aime se livrer à toutes sortes d’expérimentations. Les bouteilles de sa cuvée Sketch par exemple (qui n’existe plus aujourd’hui), reposaient plusieurs mois enterrées sous le sable de l’océan Atlantique au large des côtes galiciennes avant d’être commercialisée!!!
Raul Pérez est à la tête de trois caves dans le nord-ouest de l’Espagne : deux dans le Bierzo, la bodega familiale de Castro Ventosa à Valtuille de Abajo où il est né, à Ponferrada où il vinifie des microcuvées sous son nom et dans la région voisine de León. Ses talents d’oenologue l’ont amené à participer à un grand nombre de projets dans plusieurs régions d’Espagne, mais aussi à l’étranger, notamment au Portugal avec Dirk Niepoort et en Afrique du Sud avec Eben Sadie.
La famille de Raul a toujours travaillé dans le vin. Certaines parcelles de vignes appartiennent à la famille Pérez depuis les années 1750 et malgré cela, Raul ne se prédestinait pas à devenir vigneron. Au contraire, il avait pour ambition de devenir médecin. Raul prend au goût au vin et décide d’entreprendre 3 ans d’études en oenologie à Valence, puis 3 autres années à Lugo en Galice pour devenir ingénieur. Une fois diplômé, il prend la relève de son oncle.
Alors que Raul m’emmène faire un tour dans ses vignes, il m’explique que sa philosophie est d’être le moins interventionniste possible. Certaines parties de son vignoble ne sont que peu ou pas traitées. Et il y a même certaines parcelles qui sont complètement laissées à l’abandon pour voir quel type de raisin elles peuvent donner… Selon Raul, le sol du Bierzo est en grande majorité argileux avec un peu de sable. L’argile donne des vins plus fruités et plus acides, le sable des vins plus fins, mais avec un taux d’alcool plus élevé.
Qu’est-ce que Raul préfère dans son métier de vigneron ? Selon ses propres dires, cela dépend des jours. Ce qu’il aime le plus, c’est travailler dans le vignoble plus que dans le chai, car le contact avec la nature lui donne un réel sentiment de liberté. Selon lui, le plus important dans l’élaboration d’un vin, ce n’est pas le terroir ou le raisin qui en résulte, c’est de comprendre l’écosystème dans lequel pousse la vigne. « Tu peux avoir un bon terroir, mais un mauvais raisin, mais aussi avoir un bon raisin, mais ne pas comprendre l’espace dans lequel il pousse! Tout est important. Tu peux aussi avoir un très bon terroir, et un excellent raisin, mais si le travail dans le chai est mal fait, cela vient ruiner tout le travail fait auparavant! ». Raul a le souci du détail, tous les raisins sont vendangés à la main et même pressés avec les pieds dans un tonneau pour certaines cuvées.
Pour Raul, il est primordial que les gens aiment ses vins. “Si les gens n’apprécient pas ton vin ou ne prennent pas du plaisir à le boire, alors ton métier de vigneron n’a aucun sens. Un vin peut avoir été fait en respectant à la lettre les techniques de vinification et d’élevage, donc être parfait techniquement sur papier, mais ne pas être à ton goût. Le fait que quelqu’un aime ou non ton vin, au final, c’est le seul gage de qualité que le vigneron reçoit et c’est ce qui me guide dans mon travail”.
Quand je demande à Raul Pérez s’il a des conseils à donner aux jeunes qui souhaitent se lancer dans le métier, il me répond qu’il n’aime pas donner des conseils et que tout le monde est dans le droit de se chercher et de trouver son chemin. Quand il a commencé dans le métier dans la vingtaine, son objectif, voire son obsession, c’était de savoir quelles étaient la meilleure levure ou les meilleures machines sur le marché. Aujourd’hui, il n’a plus aucun intérêt envers ces choses. “Le seul conseil que j’aurais à donner aux jeunes, c’est d’essayer de comprendre la terre sur laquelle ils vont travailler. Avoir une formation technique est aussi recommandable. En effet, plus on en connaît sur le vin, mieux c’est. Mais il y a aussi des gens qui n’ont pas eu de formation et qui sont de grands vinificateurs. Je suis content d’avoir eu cette formation technique, ça me sécurise beaucoup et ça m’aide à comprendre les choses”.
Quand on demande à Raul s’il a une préférence ou une affection particulière pour un de ses vins. Il répond qu’il est le géniteur de nombreux enfants et qu’un père ne peut choisir entre ses enfants… Son plus grand souvenir de dégustation ? Un porto vintage des années 1700, pas tellement pour ses qualités que pour l’émotion qui va avec. “C’était le plus vieux vin que j’ai bu qui était buvable! Ouvrir des vieux vins me donne beaucoup de plaisir et de satisfaction, surtout ceux que j’ai élaborés il y a une vingtaine d’années. C’est la garantie des grands vins que de pouvoir les ouvrir 10-20 ans plus tard et qu’ils soient toujours bons!”.
Si on lui donnait la possibilité de faire du vin ailleurs sur la planète ? « Ça serait quelque part entre la Bourgogne et le Piémont. La Bourgogne par goût personnel, le Piémont pour la beauté de ses paysages. Mais l’endroit qui me donne le plus de tranquillité, c’est l’Afrique du Sud. Peut-être pas autant pour ses vins, mais parce que j’aime ce pays. Chaque fois que j’y vais, je m’y sens très bien ».
Je n’aurai pas quitté Raul Pérez sans lui demander quelques suggestions de bons restaurants dans le Bierzo. Voici ses recommandations : à Villafranca del Bierzo, Meson Don Nacho (très bonnes viandes), à Ponferrada, La Perla (fruits de mer et poissons) et Gundin (tapas), à Villadepalos, Casa Gelo (la spécialité, c’est l’anguille), à León, le Cafe La Trainera. Enfin, un plat emblématique du Bierzo à goûter ? Le botillo del Bierzo, produit élaboré à partir des restes de viande de la découpe du cochon, enrobé dans l’intestin de l’animal pour maturation puis fumage avant d’être consommé . Le botillo, souvent accompagné de pommes de terre, de chorizo et pimentón, fait même l’objet d’une appellation d’origine contrôlée!
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